Happé (Color Gang)

« Rompu à l’écriture dramatique et ses nombreuses et exigeantes contraintes, il m’arrive parfois de m’échapper dans d’autres formes d’écriture plus libres sans autre objectif que celui du geste de l’écriture, et depuis quelques temps, cette pratique est quasi quotidienne, comme un exercice nécessaire, une liberté vitale à la santé mentale.

Le 5 décembre 2015, je regardais mon père expirer une dernière fois dans une chambre anonyme du CHU de Caen après deux années d’une longue maladie. J’ai assisté à ses deux dernières heures pendant lesquelles je le regardais s’enfuir lentement, lui étant allongé sur un lit anonyme de l’hôpital et j’ai vu sa vie se rompre comme un fil de soie.

Mon père fut le premier mort que je vis.

Happés se lit aussi à P  qui, dévoilé intégralement, se dirait à Pierre, ainsi s’appelait mon père.

Happés est une série de textes écrits quotidiennement, où presque, à la suite de son décès. Ecrire ces textes n’avait aucun but consolateur ou rédempteur. Il s’agissait simplement d’écrire et de décrire des impressions minimalistes sur ce que la mort, la vue de la mort, laissait comme trace à l’intérieur du corps de celui qui la regarde en toute impuissance. Voir celui qui disparait nous donne à comprendre ce que nous sommes et ce que sera notre fin. Voir la mort change la vie. La mort happe celle ou celui qu’elle prend. La mort happe aussi celle ou celui qui la regarde œuvrer.

Happés se compose de sensations qui tentent de capter ce qui s’échappe avant, pendant et après la mort, que ce soit le souvenir, le corps, la conscience, l’émotion…

Le format court est la conséquence de chercher à écrire chaque matin la sensation brute d’un nouveau jour creusé par l’absence.

A la suite d’une concentration extrême, cette sensation est posée comme un geste calligraphique, comme un idéogramme. Les mots cherchent à fixer, à circonscrire et à définir cette sensation, à la plume et à l’encre noire sur des carnets Moleskine. »

Christophe Tostain